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Vol. 2 - Graphes et systèmes sociaux
(6 articles)Un système social peut être vu comme l'ensemble des relations existant entre des entités telles que des personnes, des groupes ou des institutions, et formant un tout structuré et cohérent. L'analyse de systèmes sociaux est un champ académique intrinsèquement interdisciplinaire, qui a émergé de la psychologie sociale, de la sociologie, des statistiques, de la théorie des graphes ainsi que d'autres domaines. Lors des dernières décennies, et en parallèle avec le développement de la discipline appelée aujourd'hui science des réseaux, les approches à base de graphes dédiées à l'analyse des systèmes sociaux ont connu un succès significatif en sciences sociales et humaines. Grâce à la nature très générique des graphes, il est possible de prendre une méthode conçue pour traiter un système donné, et de l'appliquer dans un contexte complètement différent. Par exemple, une méthode permettant de détecter des protéines importantes d'un point de vue fonctionnel dans un réseau biologique peut être utilisée pour identifier des acteurs influents dans un réseau social. Cependant, il est très difficile pour un chercheur de se tenir au courant des méthodes développées dans d'autres champs, pour des raisons de différences lexicales, méthodologiques et culturelles. Le but de ce numéro spécial est de tenter de jeter un pont par dessus les différences disciplinaires, en exposant les chercheurs à des outils et usages du concept de graphe étrangers à leur propre champ. L'idée générale est de décrire des méthodes d'analyse de graphes et/ou leur application à des systèmes sociaux spécifiques. Nous sommes intéressés par des travaux proposant de nouvelles méthodes d'analyse ou d'extraction de graphes, susceptibles d'être utilisées dans des contextes applicatifs très différents. Nous visons aussi des travaux décrivant comment une méthode existante, initialement développée pour un contexte donné, a été adaptée et/ou appliquée à des graphes représentant des systèmes différents. Enfin, nous sommes aussi intéressés par des travaux traitant de systèmes aux propriétés uniques, nécessitant la conception de méthodes spécifiques au domaine concerné.
Vol. 1 - La singularité dans les systèmes complexes naturels et artificiels
(5 articles)La notion de singularité est une notion étrange, typiquement « border-line », qui questionne la science, et notamment les sciences de la complexité, mais interroge aussi bien au-delà de cette sphère. Elle désigne en effet ce qui est particulier, original, unique, étonnant, ce qui se démarque nettement, et qui du coup peut être objet d’attention pour tout être de raison, du fait de l’étonnement et de la curiosité qu’elle suscite spontanément. Irréductibles par excellence, la singularité et le singulier ne semblent pouvoir être appréhendés que dans un cadre idiographique, voire descriptif, qui s’oppose au projet nomothétique et explicatif, schèmes dominants de tout projet scientifique moderne. Et de fait, la singularité, du fait de son unicité, échappe à l’expérience dans un premier temps, celle-ci nécessitant un minimum de répétitivité pour se construire. Et pourtant, la singularité est très certainement à l’origine de maintes découvertes, intervenues à partir de l’observation de faits qui semblaient singuliers, et sur lesquels des esprits curieux et logiques se sont penchés, à l’instar des princes de Sérendip, pour en inférer raisonnements, explications et concepts génériques. En ce sens, la singularité représente une nouveauté qui, lorsqu’elle est interprétée comme un élément signifiant, peut susciter un questionnement scientifique empirique et inductif. Mais la singularité renvoie aussi au curieux, au bizarre, à l’étrange, voire à l’inquiétante étrangeté, et finalement au monstrueux. Angoisse et fascination peuvent facilement être ressentis face à la singularité monstrueuse, ce qui peut être à la fois un frein puissant mais aussi une motivation haletante pour appréhender ces phénomènes, que leur origine soit contingente ou émergente. Ainsi, c’est en étudiant des objets mathématiques jugés « monstrueux » par les mathématiciens (il s’agissait d’objets complexes récursivement définis comme les éponges de Menger, la courbe ou le flocon de Von Koch, l’ensemble de Cantor, le tapis de Sierpinski, la courbe de Peano) que Mandelbrot a « inventé » les fractales. Ainsi la Teratologie, avec son cortège de monstres tour à tour grotesques, terrifiants, repoussants ou touchants, est un des horizons de la singularité, et nous interroge. Enfin la singularité est porteuse de différence, de positionnements en rupture, de nouveaux questionnements voire de subversion ou de folie. "La singularité est dangereuse en tout" disait Fénelon, car elle peut ouvrir des portes dont nul ne sait exactement où elles mènent. Il était totalement singulier pour Cristoforo Columbo de vouloir traverser une mer océanique qu’on pensait – en ignorant la science grecque-, plate et peuplée de démons, pour rejoindre par l’Ouest ce qui était à l’Est. C’est cette motivation qui a poussé Peter Diamandis et Ray Kurzweil (financés par la Nasa et Google) à fonder en 2009 « Singularity University », dans la Silicon Valley, dont l’objet est au fond de préparer les esprits au passage à la « transhumanité », c’est à dire à une humanité où esprits et technologies seront intimement liés dans une nouvelle symbiose qui bouleversera le monde et l’humanité telle que nous la connaissons. "Plus l'univers se standardise, plus la singularité m'intéresse" écrivait Claude Sautet, mobilisant la singularité en bouclier face à la prolétarisation qui touche nos sociétés modernes, et assujettit les personnes. En même temps, la Nasa et Google travaillent à partir du même concept à déconstruire l’homme biologique pour construire une nouvelle humanité, bio-technologique. Il y a donc bien quelque chose de vital et d’essentiel qui s’exprime à travers la singularité, mais aussi de terrifiant, lorsqu’on l’associe à la perspective de la transhumanité, ce qui fait du concept de singularité un concept fondamentalement dialogique. Nous sommes donc d’évidence devant une question fondamentale pour la science, mais aussi pour la société, voire l’humanité. La singularité méritait vraiment qu’on lui consacre une semaine à Rochebrune.