Vol. 1 - La singularité dans les systèmes complexes naturels et artificiels

La notion de singularité est une notion étrange, typiquement « border-line », qui questionne la science, et notamment les sciences de la complexité, mais interroge aussi bien au-delà de cette sphère. Elle désigne en effet ce qui est particulier, original, unique, étonnant, ce qui se démarque nettement, et qui du coup peut être objet d’attention pour tout être de raison, du fait de l’étonnement et de la curiosité qu’elle suscite spontanément. Irréductibles par excellence, la singularité et le singulier ne semblent pouvoir être appréhendés que dans un cadre idiographique, voire descriptif, qui s’oppose au projet nomothétique et explicatif, schèmes dominants de tout projet scientifique moderne. Et de fait, la singularité, du fait de son unicité, échappe à l’expérience dans un premier temps, celle-ci nécessitant un minimum de répétitivité pour se construire. Et pourtant, la singularité est très certainement à l’origine de maintes découvertes, intervenues à partir de l’observation de faits qui semblaient singuliers, et sur lesquels des esprits curieux et logiques se sont penchés, à l’instar des princes de Sérendip, pour en inférer raisonnements, explications et concepts génériques. En ce sens, la singularité représente une nouveauté qui, lorsqu’elle est interprétée comme un élément signifiant, peut susciter un questionnement scientifique empirique et inductif. Mais la singularité renvoie aussi au curieux, au bizarre, à l’étrange, voire à l’inquiétante étrangeté, et finalement au monstrueux. Angoisse et fascination peuvent facilement être ressentis face à la singularité monstrueuse, ce qui peut être à la fois un frein puissant mais aussi une motivation haletante pour appréhender ces phénomènes, que leur origine soit contingente ou émergente. Ainsi, c’est en étudiant des objets mathématiques jugés « monstrueux » par les mathématiciens (il s’agissait d’objets complexes récursivement définis comme les éponges de Menger, la courbe ou le flocon de Von Koch, l’ensemble de Cantor, le tapis de Sierpinski, la courbe de Peano) que Mandelbrot a « inventé » les fractales. Ainsi la Teratologie, avec son cortège de monstres tour à tour grotesques, terrifiants, repoussants ou touchants, est un des horizons de la singularité, et nous interroge. Enfin la singularité est porteuse de différence, de positionnements en rupture, de nouveaux questionnements voire de subversion ou de folie. "La singularité est dangereuse en tout" disait Fénelon, car elle peut ouvrir des portes dont nul ne sait exactement où elles mènent. Il était totalement singulier pour Cristoforo Columbo de vouloir traverser une mer océanique qu’on pensait – en ignorant la science grecque-, plate et peuplée de démons, pour rejoindre par l’Ouest ce qui était à l’Est. C’est cette motivation qui a poussé Peter Diamandis et Ray Kurzweil (financés par la Nasa et Google) à fonder en 2009 « Singularity University », dans la Silicon Valley, dont l’objet est au fond de préparer les esprits au passage à la « transhumanité », c’est à dire à une humanité où esprits et technologies seront intimement liés dans une nouvelle symbiose qui bouleversera le monde et l’humanité telle que nous la connaissons. "Plus l'univers se standardise, plus la singularité m'intéresse" écrivait Claude Sautet, mobilisant la singularité en bouclier face à la prolétarisation qui touche nos sociétés modernes, et assujettit les personnes. En même temps, la Nasa et Google travaillent à partir du même concept à déconstruire l’homme biologique pour construire une nouvelle humanité, bio-technologique. Il y a donc bien quelque chose de vital et d’essentiel qui s’exprime à travers la singularité, mais aussi de terrifiant, lorsqu’on l’associe à la perspective de la transhumanité, ce qui fait du concept de singularité un concept fondamentalement dialogique. Nous sommes donc d’évidence devant une question fondamentale pour la science, mais aussi pour la société, voire l’humanité. La singularité méritait vraiment qu’on lui consacre une semaine à Rochebrune.


1. De la singularité en géographie

Denise Pumain.
En géographie, la singularité renvoie d’une part à l’idée d’une irréductible unicité de chaque lieu à la surface de la terre et d’autre part à la possibilité de concevoir cette unicité comme l’une des réalisations, parmi bien d’autres possibles, de trajectoires spatio-temporelles similaires nombreuses dans une évolution faite de dynamiques complexes qui incluent des bifurcations. Je voudrais montrer ici comment la construction de modèles de simulation reconstruisant l’évolution de systèmes géographiques permet de passer d’une conception à l’autre de la singularité, voire de dépasser leur apparente opposition. On me pardonnera peut-être de proposer pour cela le récit d’un cheminement singulier, à partir de la genèse de la série des modèles SIMPOP, parce que ce fut aussi et surtout une aventure collective dans une pratique permanente de collaborations pluri, inter et trans disciplinaires.
Rubrique : Domaine 2 : Sciences de l'Information Géographique

2. La singularité dans les systèmes complexes.Editorial.

Dominique Badariotti.
Le thème de la singularité, si difficile à aborder dans un système de pensée purement cartésien, peut devenir un thème d'étude et de questionnements dans le domaine des systèmes complexes naturels et artificiels où la singularité des émergences invite à s'interroger sur cette 10 caractéristique particulière. Pour autant, ce thème demande à être davantage investigué tant les acceptions sont différentes, d'une discipline à l'autre, derrière ce mot. Au delà des différences, on peut réduire le concept de singularité à cinq catégories fondamentales de compréhension par delà les disciplines
Rubrique : Hors domaines scientifiques prédéfinis

3. Singularités, objectivité et performativité en sciences sociales

Samuel Tronçon.
Cet article a pour objet de proposer une double articulation pour l’analyse des systèmes théoriques en SHS qui permette une interaction facilitée avec l’informatique et les sciences de la nature, et qui donne des clefs épistémologiques pour étudier l’évolution de ces syste`mes, leurs particularités et leurs adaptations possibles aux objets étudiés. Sans pouvoir être exhaustifs, nous tentons de proposer des ouvertures, en nous basant sur la logique et la géométrie de la connaissance, et en tenant compte de la spécificité des sciences humaines et sociales.
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4. Singularités, sens et universalité, Rochebrune 2015

Gerard Weisbuch.
Mise au point sur les relations entre singularités en théorie des sytèmes dynamiques ettransitions de phases en mécanique statistique. Classes d'universalité et stabilité structurelle.
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5. De l'arbre à la forêt : singularité et généralisation dans les modèles physiques

Isabelle Champion.
Dans tout problème de science et en particulier ceux qui impliquent une modélisation de phénomènes physiques à l’aide d’un ensemble d’équations mathématiques, la question de passer du singulier au général est centrale. L’exemple développé ici est celui de la modélisation du signal électromagnétique d’une forêt afin d’exploiter des images satellitaires pour diverses applications. Pour interpréter le signal reçu, le physicien utilise donc un modèle mathématique qui résume le savoir en cours sur la formation du signal en fonction des caractéristiques de la forêt.La discipline produit énormément de travaux de modélisation qui utilisent des données sur les arbres et les descriptions de l’arbre sont souvent traitées comme secondaires par rapport à la construction de l’appareil mathématique. Or, la description de l’arbre qui va produire le fichier d’entrée du modèle est fondamentale pour le calcul du résultat. Il semble que cette description est traitée comme une non-question de recherche peut-être parce que c’est un objet naturel et non une création de la technologie, ou parce qu’il s’agit d’un objet mesurable par des moyens simples, qu’il est immédiatement accessible (contrairement à la description de l’ADN par exemple).Bref, un arbre : ça crève les yeux... Or, nous montrons ici que l’arbre du physicien est une création totalement nouvelle et originale et que c’est le résultat d’un travail complexe […]
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